Nous démarrons 2023, année du Centenaire de la naissance de l’égyptologue Sénégalais, natif de Caytou (29 décembre 2023) et profilons vers 2024, cinquante ans après cette rencontre scientifique historique du Caire. Nous avons le devoir de célébrer, au Sénégal, en Afrique et partout dans le monde, Cheikh Anta DIOP et Théophile OBENGA qui se sont illustrés dans le champ de la recherche en égyptologie.
Contexte du colloque d’égyptologie
L’instrumentalisation des découvertes archéologiques en Égypte confortait le projet géopolitique de la colonisation.L’historiographie coloniale présentait le peuplement de l’Égypte ancienne comme provenant du nord ou de la région indo-européenne et que ce sont des leucodermes (Blancs) qui avaient bâti sa civilisation.
Ce discours a prévalu au sein de la communauté scientifique internationale jusque dans les années 1940. Après la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), des historiens africains commencèrent à s’opposer à cette vision eurocentriste de l’histoire de l’Afrique. Ils affirmèrent que « l’Afrique a une histoire » qu’il fallait réécrire à l’aide des sources écrites et orales, de la linguistique, de l’art, de l’ethnologie et de l’anthropologie.
Cheikh Anta DIOP publie en 1954 « Nations nègres et culture » et défend en 1960 une thèse d’histoire démontrant les origines nègres de la civilisation égyptienne et les origines égyptiennes des civilisations nègres. A ce titre, DIOP a « réinventé » l’histoire africaine en lui donnant une assise temporelle, une perspective diachronique qui lui faisaient cruellement défaut. Il a mis en évidence la nécessité d’une réécriture de l’histoire de l’humanité.
Sollicité par l’UNESCO, en 1970, à devenir membre du Comité scientifique international pour la rédaction d’une Histoire générale de l’Afrique, son exigence d’objectivité le conduit à poser des préalables à cette initiative.
En effet, le projet envisagé par l’UNESCO devait traiter les questions relatives à l’aire culturelle et l’univers anthropologique de l’Égypte ancienne compte tenu de l’état des connaissances. Pour le savant sénégalais, une confrontation des travaux de spécialistes du monde entier lui apparaît indispensable pour faire avancer la science historique. Il demanda la tenue d’un colloque international, organisé par l’UNESCO, réunissant des sommités mondiales, pour d’une part, débattre de l’origine des anciens Égyptiens, et d’autre part faire le point sur le déchiffrement de l’écriture méroïtique.
Le colloque d’égyptologie de 1974
C’est dans ce contexte, que se tient au Caire du 28 janvier au 3 février 1974, le colloque international du Caire sur : « Le peuplement de l’Égypte ancienne et le déchiffrement de l’écriture méroïtique. »
Vingt spécialistes et cinq observateurs d’Europe, d’Amérique et d’Afrique et deux représentants de l’UNESCO venant de 14 pays furent conviés aux travaux.
Se fondant sur des preuves archéologiques issues des fouilles effectuées en Égypte, Cheikh Anta DIOP et Théophile OBENGA s’opposèrent à l’interprétation des données créditant, jusque-là, l’Occident du monopole de l’initiative historique. Les deux chercheurs africains se saisirent de l’opportunité pour exposer devant la communauté scientifique internationale leurs thèses :
-L’humanité avait vu le jour en Afrique et que c’est d’elle que sont partis ceux qui ont peuplé les autres continents.
-Le Delta, humide et insalubre, était une région inhabitée jusqu’à l’époque du roi Narmer qui unifia la Haute et la Basse Égypte (3100 av. J.-C.).
-Le peuplement de l’Égypte ancienne s’est effectué dans le sens sud-nord ;
Ils se fondaient sur les résultats des tests de mélanine effectués à l’IFAN sur les échantillons de momies.
Ils présentèrent aussi les témoignages des Grecs (Hérodote, Diodore, Strabon, Pline, Tacite, Solon, Thalès, Platon, Lycurgue, Eudoxe, Pythagore) qui avaient séjourné en Égypte.
L’UNESCO reconnut que leurs communications n’avaient pas eu une contrepartie égale et ajouta : « Elles ont mis en lumière, aux yeux de presque tous les participants, l’insuffisance des exigences méthodologiques utilisées jusqu’alors.»
Jean DEVISSE, le rapporteur, dans sa conclusion générale indiqua que « La très minutieuse préparation des communications des professeurs Cheikh Anta DIOP et OBENGA n’a pas eu, malgré les précisions contenues dans le document de travail préparatoire envoyé par l’UNESCO, une contrepartie toujours égale. Il s’en est suivi un véritable déséquilibre dans les discussions. »
Le colloque du Caire a marqué une étape capitale dans l’historiographie africaine. Pour la première fois des experts africains confrontent, dans le domaine de l’égyptologie, les résultats de leurs recherches avec ceux de leurs homologues des autres pays.
Le colloque du Caire mena l’UNESCO à concrétiser le projet, commencé en 1964, d’écrire une histoire authentique de l’Afrique en tenant compte des sources et des structures propres à l’Afrique. Les 8 volumes d’Histoire générale de l’Afrique qui parurent à partir de 1980 en furent la matérialisation. Sur la même lancée, les travaux du Caire remirent à l’ordre du jour le discours sur la renaissance et l’intégration de l’Afrique
Une rupture épistémologique
Le colloque du Caire de 1974 a provoqué une rupture épistémologique. Il a permis de s’affranchir de cette falsification de l’histoire dans un contexte colonial gangrené par les considérations raciales. Il fut une invite à réécrire l’histoire universelle sur des bases plus objectives et de revoir les paradigmes méthodologiques qui ont jusque-là présidé aux travaux de recherche relatifs à l’Égypte antique. Les conclusions du colloque de 1974 devraient contribuer à franchir des paliers dans le champ de la recherche en égyptologie. Elles permettent en tous cas de reconsidérer les sources de l’histoire de l’Égypte ancienne en usant des medou netjer(écritures égyptiennes) et de replacer cette histoire dans son substrat culturel africain. Pour finalement contribuer substantiellement à une narration plus scientifique de la plus vieille civilisation historique.
Il reste beaucoup à faire depuis cette avancée épistémologique pour une appropriation de l’héritage légué par les anciens et dépoussiérer les interprétations qui ont tendance à sortir Tawy (Egypte) de son giron africain.
Pour Cheikh Anta DIOP, « Ce colloque peut-être considéré comme un tournant qui a permis à l’égyptologie de se réconcilier avec l’Afrique et de retrouver sa fécondité. […] Le dialogue scientifique sur le plan international est instauré et l’on peut espérer qu’il ne sera pas rompu. A la suite des débats des participants n’ont pas manqué d’exprimer leur volonté de réorienter leurs travaux vers l’Afrique et d’intensifier leur collaboration avec les chercheurs Africains « . [Le Soleil n° 1128, janvier 1974].
Ainsi, le colloque du Caire de 1974 fut le moment au cours duquel l’historiographie africaine fut révolutionnée : désormais l’Afrique fait partie intégrante de l’histoire universelle.
Par ailleurs, le rapprochement avec les langues africaines, dont la parenté génétique est établie par les travaux de Cheikh Anta Diop entre autres, serait une perspective intéressante aussi bien pour la lecture que pour la compréhension des medou netjer.
La commémoration du Cinquantenaire du Colloque du Caire
Nous démarrons 2023, année du Centenaire de la naissance de l’égyptologue Sénégalais, natif de Caytou (29 décembre 2023) et profilons vers 2024, cinquante ans après cette rencontre scientifique historique du Caire. Nous avons le devoir de célébrer, au Sénégal, en Afrique et partout dans le monde, Cheikh Anta DIOP et Théophile OBENGA qui se sont illustrés dans le champs de la recherche en égyptologie. Nous avons l’obligation de prendre date avec l’histoire et d’assumer l’héritage scientifique issu de ce colloque sous l’égide de l’UNESCO, la plus haute instance autorisée. Il s’agit pour les instances, universités et chercheurs de consolider les acquis et d’évaluer les recommandations de ce colloque qui a contribué au triomphe des thèses qui replacent l’Égypte ancienne dans le giron africain et proposent de nouvelles perspectives dans les recherches africaines.
Avec Caytou, Dakar et le Caire comme principaux points d’ancrage devant abriter les activités prévues pour la commémoration du cinquantenaire du Colloque international du Caire de 1974, l’opportunité se présente d’affirmer notre souveraineté culturelle, de refonder les bases des systèmes qui structurent la continuité qui nous lie à notre patrimoine qui date de l’aube de l’humanité et d’examiner sans complaisances les travaux qui restituent le narratif de notre passé.
Par ailleurs, au moment où les universités et instituts du monde entier foisonnent en Égypte avec leurs programmes et missions de recherche sur l’Égypte ancienne, l’Afrique reste étrangement absente de notre terre-mère Tawy.
Je profite de cette tribune pour demander solennellement à l’Union africaine et aux instances qui en ont la capacité, de créer une chaire d’égyptologie et d’initier une mission de recherche permanente en Égypte. L’initiative permettra aux chercheurs de nos pays et de la diaspora d’emprunter plus allègrement la voie tracée par Cheikh Anta Diop.
Madou KANE
Historien spécialisé en égyptologie
Gestionnaire du Patrimoine culturel
madouenak@gmail.com
Tél : +221 76 722 11 33
NJUH, Ludovic Boris Pountougnigni, L’arme archéologique dans les discours des africanistes au XXe siècle : La rupture du colloque du Caire de 1974, UMR Sirice, « Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin » 2017/2 N° 46, pages 107 à 121
UNESCO, Le peuplement de l’Égypte ancienne et le déchiffrement de l’écriture méroïtique, Histoire générale de l’Afrique, Études et documents 1, Paris, UNESCO, 1978.
http://www.ankhonline.com/revue/colloque_egyptologie_caire_1974.htm