Ce que l’on sait sur le vaste coup de filet mondial contre le crime organisé.

Selon la police néo-zélandaise, c’est à ce jour l’opération “la plus sophistiquée au monde” contre le crime organisé. Son nom ? “Bouclier de Troie”, un nouveau coup de filet mondial contre des malfaiteurs du monde entier. Plus de 800 personnes ont été arrêtées à travers le monde grâce au noyautage par la police de l’application “AN0M”, contrôlée par le FBI, dont se servaient les criminels pour communiquer de façon cryptée. 

  • La collaboration d’enquêteurs de seize pays

L’opération a permis aux enquêteurs de seize pays – dont les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et plusieurs pays d’Europe – d’observer des membres de la mafia, de syndicats criminels asiatiques, de cartels de drogue ou encore de gangs de motards hors-la-loi qui échangeaient sur des ventes de stupéfiants, des activités de blanchiment d’argent ou même des projets d’assassinats. Ce coup de filet “gigantesque” a d’ailleurs sauvé 100 vies, selon le FBI. 

Grâce à ce dispositif, de nombreuses cargaisons de drogue aussi ont été interceptées, à en croire les polices de plusieurs pays et des documents judiciaires américains déclassifiés. “Plus de 800 arrestations, plus de 700 lieux perquisitionnés, plus de 8 tonnes de cocaïne”, a-t-il précisé l’agence Europol lors d’une conférence de presse ce mardi matin. 

Rien qu’en Australie, où cette opération a duré trois ans, 224 personnes ont été inculpées d’un total de plus de 500 chefs d’accusation, six laboratoires de fabrication de drogue ont été fermés, quantités d’armes et 45 millions de dollars australiens (29 millions d’euros) en liquide ont été saisis. La police de Nouvelle-Zélande a pour sa part annoncé l’interpellation de 35 personnes notamment pour trafic de drogue et blanchiment d’argent. Selon le Premier ministre australien Scott Morrison, ce coup de filet “a infligé un coup dur au crime organisé, non seulement dans ce pays, mais qui aura un écho dans le monde entier”. 

  • Des malfaiteurs encouragés par la police à utiliser AN0M

En plus d’obtenir la capacité de décrypter des messages en temps réel, le FBI et d’autres services de police sont parvenus à encourager des malfaiteurs à recourir au téléphone crypté AN0M, distribués dans plus de 90 pays. Les appareils ne permettaient pas de passer des appels, ni de consulter ses emails et n’avaient pas de données GPS. Ils permettaient juste d’envoyer des messages à d’autres téléphones AN0M. Ils ne pouvaient s’acheter que sur le marché noir, pour environ 2000 dollars, et impliquaient d’avoir un code transmis par un autre utilisateur. 

Au total, ce sont 11 800 appareils qui ont été distribués sur tous les continents, les pays en ayant reçu le plus sont l’Australie, l’Espagne, l’Allemagne et les Pays-Bas. Des médias australiens rapportent que les policiers ont participé à la distribution de ces téléphones à des suspects connus, y compris à un Australien recherché pour trafic de drogue et en cavale en Turquie. “Un criminel devait connaître un autre criminel pour obtenir ce matériel”, a expliqué la police australienne dans un communiqué. A en croire des documents judiciaires américains déclassifiés cités par le média américain Vice, le FBI a travaillé avec des personnes connaissant ces milieux pour développer et distribuer les appareils par l’entremise du réseau Phantom Secure en disséminant cinquante téléphones, principalement en Australie. 

“Les appareils ont circulé et leur popularité a grandi parmi les criminels, qui avaient confiance dans la légitimité de l’application car de grandes figures du crime organisé se portaient garants de son intégrité”, a précisé la police australienne. Pour son chef, Reece Kershaw, ces “influenceurs criminels”, “se sont passé les menottes les uns aux autres en adoptant et en faisant confiance à AN0M et en communiquant ouvertement avec, sans savoir que nous les écoutions tout le temps”. Quelque 20 millions de messages ont été envoyés. 

Cette infiltration a visiblement volé en éclat en mars 2021 quand un blogueur a écrit en détail sur les failles de sécurité de AN0M, présenté comme un dispositif lié à l’Australie, aux Etats-Unis et aux autres membres de l’alliance de renseignements des FiveEyes. Ce post a été supprimé. 

  • Le vide laissé par la fermeture de “Phantom Secure” et “Sky Global”

Cette opération a découlé de l’infiltration, par le FBI, de systèmes similaires de communications cryptées, “Phantom Secure” et “Sky ECC” de “Sky Global”, qui avait permis aux policiers américains d’accéder aux communications de dizaines de milliers d’utilisateurs, y compris de grandes figures du crime organisé. 

“La fermeture de ces deux plateformes de communications cryptées a créé un vide sur le marché”, a expliqué la police néo-zélandaise. Pour combler ce vide, “le FBI a opéré son propre système d’appareils cryptés, baptisé ‘AN0M'”. Dans le même temps, ont été lancées des rumeurs sur la prétendue vulnérabilité d’un système concurrent baptisé “Ciphr”. On ignore dans l’immédiat si AN0M est totalement une création de la police, ou un système déjà existant qui a été infiltré.  

Début avril, le parquet d’Anvers annonçait que les douanes belges avaient saisi plus de 27 tonnes de cocaïne dans le port d’Anvers depuis le 20 février, grâce à l’enquête sur le réseau de communications cryptées Sky ECC, utilisé par des groupes criminels du monde entier. Cette quantité de drogue représente une valeur marchande de 1,382 milliard d’euros, précise le parquet d’Anvers. Une vaste opération de police contre le crime organisé avait été menée le 9 mars en Belgique, après le décryptage par la police fédérale de quelque 500 millions de messages envoyés via des téléphones sécurisés commercialisés par la société Sky ECC, basée au Canada, dans le cadre d’une enquête de plus de deux ans. 

En juillet 2020, les autorités judiciaires et policières françaises et néerlandaises avaient quant à elle annoncé le démantèlement d’un réseau mondial de communications cryptées, appelé “EncroChat”, utilisé quasi exclusivement par des organisations criminelles. Trafic de drogue, assassinats, blanchiment d’argent, extorsion de fonds, enlèvements… Cette opération conjointe a conduit à de “multiples arrestations” dans plusieurs pays européens et empêché que ne soient perpétrés de nombreux actes criminels, ont-elles expliqué.

Le Monde

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